En juillet 2024, St. Galler Nachfolge s’est rendu au Kirghizstan pour approfondir et discuter du thème de la succession d’entreprise avec des entrepreneurs kirghizes. Cette semaine variée et enrichissante a été organisée à l’initiative de la fondation Business Professionals Network BPN. Frank Halter et Claudia Buchmann de St. Galler Nachfolge se sont rendus personnellement sur place au Kirghizistan.
Claudia Buchmann et Frank Halter
Il est passionnant et instructif de découvrir de nouvelles cultures. Notre engagement “pro bono” pour BPN (Business Professional Network) au Kirghizstan nous a donné l’occasion d’acquérir une connaissance plus approfondie d’une autre culture et d’autres traditions dans le contexte de la succession d’entreprise. Nous avons organisé sur place un séminaire sur la succession d’entreprise au Kirghizstan, puis plusieurs séances de coaching avec des entrepreneurs (nous tenons à remercier ici les traducteurs professionnels qui nous ont permis de passer de l’allemand au russe et inversement). A notre retour, nous avons cherché à savoir ce qui était différent, nouveau et instructif pour nous en Suisse et pour le Kirghizstan ?
Esprit d’entreprise et grande flexibilité
Nous avons pu faire la connaissance d’un pays et d’un peuple qui vivent, grandissent et sont marqués par d’innombrables bouleversements. La dissolution de l’URSS a permis au Kirghizstan de devenir indépendant de la Russie. Ce fut un grand pas pour le pays et le système économique qui le sous-tendait. L’abandon de l’économie planifiée a d’abord conduit à une crise. L’offre et la demande ont dû se redévelopper et un cadre spécifique a dû être créé à cet effet.
Nous avons eu l’impression que cette “démarcation” avec la Russie au Kirghizstan est un facteur d’identité pour les personnes qui vivent dans le pays. En même temps — et nous n’en étions pas conscients au départ — le pays compte près de 80 ethnies différentes. De la femme d’affaires d’origine sud-coréenne de la troisième génération aux personnes d’origine arabe, en passant par les Mongols, les Russes et les Kirghizes, le Kirghizstan est un pays de “diversité nomade”.
Depuis l’indépendance, le pays a connu plusieurs révolutions. C’est le contexte dans lequel l’entrepreneuriat a germé. Nous avons assisté à une grande flexibilité entrepreneuriale (il n’est pas rare de changer de secteur d’activité au fil du temps), à une atmosphère de renouveau et à une envie d’indépendance et d’autonomie, car les gens ont fait l’expérience que le climat politique change rapidement et que, par conséquent, tout peut être différent demain.
C’est une grande différence par rapport à notre longue stabilité politique. Nous avons observé que, pour cette raison, des “points de rupture” sont installés à différents endroits ou que différents éléments de la fortune sont transférés à titre préventif à différents membres de la famille afin de s’assurer une protection aussi large que possible en tant que famille. La nécessité rend inventif et exige une flexibilité que nous trouvons impressionnante.
Le rôle des femmes dans la succession
Nous avons entendu à plusieurs reprises la formule suivante : “Ma fille est mariée, elle appartient donc maintenant à une autre famille et je ne suis donc plus responsable d’elle financièrement”. Cette tradition est encore très ancrée, en particulier dans les régions rurales. Aujourd’hui, lors de nos entretiens avec plusieurs jeunes femmes entrepreneurs locales, on entend par exemple des déclarations telles que : “Je ne me marierai jamais, car je ne veux pas que le patrimoine de ma famille d’origine soit dispersé” ou “J’ai créé et développé ma propre entreprise parce que je n’ai reçu aucun soutien de ma famille d’origine depuis que je me suis mariée”.
Pour une jeune génération, les valeurs occidentales se heurtent aux valeurs locales ancestrales et conduisent à des solutions individuelles et indépendantes. Ce qui nous a également frappés, c’est que de très nombreuses femmes entrepreneurs assument une responsabilité incroyable pour leur famille ET leur entreprise. Elles mettent leurs propres besoins de côté. Cette lourde charge, qui dure des années, voire des décennies, laisse des traces.
Les jeunes avant les vieux
Chez nous, en Suisse, on disait souvent : le fils aîné reprend la ferme. Au Kirghizstan, nous avons souvent entendu la formule selon laquelle c’est le fils cadet qui reprend l’entreprise (et non l’aîné, justement). Nous avons posé la question : Pourquoi le cadet ? L’arrière-plan de cette réflexion est que le cadet sera celui qui vivra le plus longtemps et que le soutien financier des parents sera donc assuré plus longtemps. Dans de nombreuses familles, la mission d’assistance des parents est transmise à la génération suivante, ce que nous ne connaissons pas (ou plus) en Suisse.
Équité et justice
En abordant le thème de la justice distributive, nous avons parlé avec les entrepreneurs de notre principe occidental de performance, d’égalité et de besoin. La tradition kirghize veut que l’entreprise soit transmise gratuitement au fils cadet. En ce qui concerne le principe du besoin, cela signifie que la prévoyance financière des parents doit être fournie par la génération qui reprend le flambeau — c’est ainsi que l’équilibre est traditionnellement assuré. Le principe d’égalité est loin derrière, suivi par le principe de performance.
Les participants kirghizes ont appris qu’en Suisse, les entreprises sont souvent vendues aux descendants, même au sein de la famille, et ne sont pas transmises à titre gratuit (p. ex. donation). En Suisse, nous avons donc une solution qui tient compte du principe de la performance. Certains participants ont immédiatement repris l’idée et la poursuivent. Cela pourrait être un game-changer pour des discussions individuelles au sein de la famille, dont nous serons heureux de connaître le résultat dans 3–4 ans.
La compréhension va au-delà des mots
Nous avons eu la chance d’avoir de merveilleux interprètes communautaires qui nous ont permis de communiquer en allemand/anglais/russe. En discutant avec les entrepreneurs, nous nous sommes rapidement rendu compte que la compréhension nécessitait d’autres éléments : Nous avons rencontré une langue et un mode d’expression truffés de formules et d’images chaleureuses et émotionnelles. Nous l’avons adopté, ce qui a donné lieu à un échange de cœur à cœur qui nous a profondément touchés.
Nous avons été tout aussi touchés par l’hospitalité et la gratitude que nous avons reçues pour notre travail : que ce soit le thé ou le café accompagné de pâtisseries après les entretiens de coaching, les embrassades entre femmes ou les cadeaux d’artisanat local qui nous rappellent désormais le Kirghizistan, même ici en Suisse.
Conclusion
Nous revenons sur cinq journées formidables et engagées et profitons de l’occasion pour remercier encore une fois chaleureusement tous les collaborateurs de BPN Kirghizistan sur place. Au cours des 25 dernières années, grâce à leur engagement, ils ont réalisé un formidable travail de développement et permis à de nombreuses entreprises de voir le jour. Si ces entreprises peuvent être transmises à la génération suivante, un pas important aura été franchi sur le plan économique, car il n’existe pas encore de tradition ou d’expérience en matière de succession comme chez nous en Suisse. Nous sommes heureux d’avoir pu contribuer à cette réussite et de donner l’impulsion nécessaire.
Crédits photographiques : Claudia Buchmann, Frank Halter, BPN Kirghizistan